Introduction à la France en 1190

Il y a quatre ou cinq années, j’avais commencé une campagne (sur table virtuelle) du jeu de rôle Vampire l’Âge des ténèbres. Et pour introduire les joueurs à cette période difficile et mal connue j’avais rédigé un petit texte. Avertissement, je n’ai pas de Master ès histoire médiévale, et il y a certainement quelques erreurs. Deuxièmement, ce qui est vrai pour la France de la fin du 12e siècle, ne l’est pas forcément ailleurs dans le temps ou l’espace. Troisièmement, mes joueurs étaient restreint à la création en Francie entre Paris et la Champagne au nord de la Loire, ce qui colore forcément mon description.

Mais puisque ça traîne sur mon disque, le  voilà :

Dans beaucoup de domaines, les dernières décennies du XIIe siècle font pivot. Il y a un avant et un après que ce soit dans la chevalerie, l’organisation du pouvoir, le rôle et le pouvoir du roi, les relations avec Outremer, l’économie, etc. C’est l’époque de Richard Cœur de Lion et de Jean sans terres, de Saladin et des croisades, de l’empereur Barberousse, de Philippe II Auguste qui réinstaure le pouvoir royal, d’Aliénor d’Aquitaine la vindicative, de Chrétien de Troye, du Roman de Renart, le début de la construction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, des Templiers…

Inspiration : si vous voulez des images pour aller avec le tout, je peux conseiller trois films. Le nom de la Rose d’Annaud avec Sean Connery, situé 2 siècles plus tard mais au sein d’une abbaye (donc quelque peu immobile et immortelle) ; parfait pour son atmosphère, les différents types de religieux, ses décors. Braveheart n’est pas bon géographiquement mais l’époque est presque bonne malgré la touche forcément hollywoodienne. Kingdom of Heaven est parfait pour l’époque, les lieux du début du film et certains thèmes, il est malheureusement très (trop) hollywoodien, à regarder (et plutôt la version longue, Director’s Cut bien moins mauvaise) mais à prendre avec de longues pincettes. Environ un siècle plus tardif que notre époque, il y a également un roman et une mini-série basée sur lui qui est intéressant : Les piliers de la terre.

Thèmes

Dieu

Il est là, tout puissant et omniprésent. La question ne se pose même pas de savoir si Dieu existe. On ne « croit » pas en lui, on sait que bien sûr il existe. On peut lui en vouloir, on peut trouver ses clercs rapaces, ses moines gras, et ses prêtres envahissants, on peut même le rejeter ou le maudire, ou lui faire la guerre. Mais on sait qu’il est là. Il est le créateur du monde, de l’ordre des choses, et surtout il est l’unique chance de salut, de rédemption.

On se préoccupe tout autant de sa santé physique que de la santé de son âme immortelle. C’est une réalité quotidienne.

Cela ne veut pas dire que tous sont pieux ou que chacun ne pèche jamais bien sûr. Le péché est même courant. Mais on cherche à le limiter, on chercher à se faire pardonner ensuite. Même quelqu’un d’aussi érudit, éclairé, puissant, et très bien placé pour savoir que les archevêques, cardinaux et même le Pape sont des entités politiques faillibles… en clair un roi, peut se laisser ronger par un péché et chercher pénitence. Des rois lavent les pieds de gens du communs, touchent leur écrouelles, car leur pouvoir vient de Dieu et c’est aussi leur devoir sacré que d’en faire profiter ceux qui sont à sa charge. Quand Louis VII, l’ancien roi, bataille à la tête de ses armées contre le comte de Champagne et le Pape à propos du choix de l’archevêque de Langres, il est excommunié pour cette ingérence et il fait brûler quand même une église à Vitry où le village s’était réfugié. Une simple action de guerre comme il y en a tant, et pourtant il partira en croisade pour expier ce très lourd péché (et aussi soyons franc pour calmer le Pape).

Péchés

Les « péchés capitaux » n’existent pas encore en tant que tels. Leur sens commun moderne est d’ailleurs erroné, ils ne sont pas plus importants ou mortels que d’autres. Capital ne vient pas d’importance, mais de caput la tête : ce sont les péchés qui sont la graine de péchés eux mortels, il faut les surveiller car ils mènent à des choses bien plus grave par la suite.

Le cœur de la vie quotidienne sous le règne de Dieu est les Dix commandements (malheureusement ils sont comme le reste écrits en latin, et parfois mal traduits par le curé de campagne qui n’en parle que quelques mots) :

  1. 20.2 Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ait fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. (Je suis le Seigneur ton Dieu)
  2. 20.3 Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face. 20.4 Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. 20.5 Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point ; car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent. 20.6 et qui fais miséricorde jusqu’en mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements. (Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi)
  3. 20.7 Tu ne prendras point le nom de l’Éternel, ton Dieu, en vain ; car l’Éternel ne laissera point impuni celui qui prendra son nom en vain. (Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain… le blasphème)
  4. 20.8 Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier. 20.9 Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. 20.10 Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes. 20.11 Car en six jours l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : C’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié. (Souviens-toi du jour du sabbat, du repos)
  5. 20.12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne. (Honore ton père et ta mère, qui se comprend parfois comme les anciens, les ancêtres, ceux de rang supérieur)
  6. 20.13 Tu ne commettras point d’assassinat. (Tu ne commettras pas d’assassinat, tuer n’est pas forcément un assassinat il y a une distinction compliquée et qui évolue avec le temps et l’espace, mais pour simplifier techniquement ni la guerre ni la peine de mort ne sont un péché mortel en soi)
  7. 20.14 Tu ne commettras point d’adultère. (Tu ne commettras pas d’adultère, c’est à dire avoir des rapports sexuels avec quelqu’un de marié, ce n’est pas encore toujours le sens moderne de l’adultère)
  8. 20.15 Tu ne déroberas point. (Tu ne voleras pas)
  9. 20.16 Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain.
  10. 20.17 Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain. (Tu ne convoiteras ni la femme, ni la maison, ni rien de ce qui appartient à ton prochain)

Ces Commandements sont bien sûr un idéal, rarement atteint. L’on naît pécheur, jusqu’à son baptême, mais l’on reste avec un cœur de pécheur probablement même après le baptême. D’où les prêtres qui nous aide au quotidien à faire pénitence, d’où les moines qui prient pour notre salut à tous. Leur interprétation est aussi variable dans le temps et dans l’espace. Presque personne ne sait lire, et tous les offices (messe, etc.) se font en latin que les gens du commun ne comprennent plus. Les curés sont donc non seulement les bergers de leur peuple, mais aussi leur unique source de savoir spirituel : si le curé, par incompétence, choix personnel, hérésie volontaire ou autre dévie de la Bible, aucun paysan ne le saura jamais.

Ordre

C’est l’axe même, le thème majeur de l’époque. L’ordre du monde, des choses, des gens. C’est un ordre divin, créé et orchestré par Dieu. Que ce soit le levé du soleil, la chute des feuilles d’un arbre, la place social de chacun, le rythme temporel et calendaire… tout est figé en apparence, et vient des créations de Dieu et du Seigneur lui-même.

Beaucoup de prêtres disent que l’ordre social du monde est celui de Dieu : ceux qui nourrissent et travaillent, ceux qui prient, ceux qui défendent et se battent. Mais cette notion d’ordre va au-delà du simple ordre social (secoué en plus, voir plus bas). C’est en fait un manque de recul… l’homme (et la femme) moyen ne sait pas lire, n’a ni cinéma ni télévision, et quelques rares trouvères marchands itinérants et voyageurs apportent des nouvelles de l’extérieur mais sans plus. On ne sait tout simplement pas que l’on peut faire autrement, et l’on a de bonnes raisons de ne pas vouloir renverser l’ordre car celui-ci est divin. Les pires crimes de l’époque sont ceux qui remettent en cause cet ordre établi.

Un serf peut se rebeller, même prendre les armes et finir par tuer son seigneur ou son évêque. Il ne cherche pas à se libérer de la monarchie féodale, il ne cherche pas à changer en profondeur les choses, il cherche juste à supprimer une injustice ou à une vengeance personnelle. Le serf affamé qui voit sa famille ignorée par le seigneur et mourir de faim peut monter une révolte (une jacquerie) pour finir par pendre son seigneur tyrannique, mais pour le changer pas pour lui-même devenir seigneur.

Violence

La justice existe, mais elle est longue, coûteuse et complexe. L’usage, la coutume, l’habitude de tous pour beaucoup de chose reste la justice privée, du foyer, d’homme à homme. Pour beaucoup de problèmes individuels, on les règle soit-même, et donc par la violence. Si un voisin tue votre âne, vous allez exiger réparation ; si il continue à refuser pour aller appliquer physiquement votre vindicte à son encontre. Vindicte qui dans le langage occitan du sud de la France donnera le mot bien connu aujourd’hui de vendetta.

La vendetta est la manière usuelle de régler ses problèmes. L’on fait appelle à la justice extérieure quand une communauté est un jeu, ou quand la violence n’est pas possible. Cela ne veut pas dire que c’est un univers uniquement fait de cris et de sang, la violence n’est pas forcément sanglante ou mortelle. Mais la force publique est limitée, et n’intervient normalement que peu. Même quand les cours sont en jeu, il faut toujours une victime pour initier quelque chose, il n’y a pas de notion d’ordre public justicière (en terme moderne, l’on dirait qu’il n’y a pas de procureur). Même la haute justice du roi ne poursuivra pas judiciairement un meurtrier, c’est la veuve, l’orphelin ou le voisin de la victime qui devra initier l’action en justice. Toutefois des chartes existent, en particulier dans les villes, contre les crimes. Et un seigneur peut vouloir s’impliquer dans une affaire de justice pour empêcher un certain désordre public, ou pour préserver les bonnes mœurs.

Et même parmi les puissants, l’ordre social et la justice sont quelque part affaire du plus fort. Le seigneur est le seigneur parce qu’il a les armes et armées. C’est un paradoxe avec l’ordre social divin, mais Dieu ne fait pas les choses à votre place. Si vous êtes comte et détenteur de la justice en un lieu, Dieu ne viendra pas protégez les frontières de votre fief. Si un de vos vassaux se rebelle contre vous et vous refuse l’ost (son devoir d’aide militaire), aucun archange ne viendra lui botter les fesses. Par contre Dieu vous a fait naître dans une famille riche, ou vous avez été éduqué, ou vous avez appris l’autorité et le commandement, où vous aviez du temps libre pour recevoir éducation et entraînement militaire. La volonté de Dieu s’accomplit à travers les hommes. D’ailleurs, cette violence se généralise aussi. Ces dernières années on vu les premiers calmes longs, alors que depuis un siècle le paysan moyen voit seigneurs guerroyer entre eux à n’en plus finir.

Cette violence des rapports même au plus haut niveau impacte donc tout le monde. Les religieux passent leur temps à se plaindre de la sauvagerie des nobles et chevaliers. Les paysans voient leur récoltes saccagées, les communautés voient leur village pillé par des chevaliers qui ne sont guère plus que des bandits de grand chemin ou par des affrontements entre nobles.

Et même en-dehors de l’Homme, la nature est dangereuse. Le sol meuble et boueux d’un marais qui agrippe et noie le voyageur, le loup et l’ours qui attaquent l’homme en forêt, la maladie omniprésente.

Parfois le monde lui-même semble hostile.

Mobilité réduite et isolation

L’homme moyen, normal, ne voyage pas. Il naît, grandi, vit et meurt dans le même village, comme ses parents, ses aïeuls, et ses enfants. L’Occident est une myriade de poches de civilisations avec des villes mais surtout des villages au milieu d’un océan de verdure sauvage. Voyager demande un peu de savoir et d’habitude, des groupes importants, des armes, bref c’est souvent hors de portée des gens normaux. Pour beaucoup, le monde va de l’église du village au bout des champs durement gagnés sur la forêt déboisée, de la rivière aux maisons, et s’arrête là. On entend des choses de l’extérieur, et d’encore plus loin depuis les croisades, mais l’on en a jamais rien vu.

Cet immobilisme est plus profond que simplement géographique, c’est aussi un immobilisme social. Il n’y a pas encore de notions absolutistes de caste, et le tri-état n’a pas encore été formulé en tant que tel. L’on peut naître fils de boucher et devenir chevalier. En théorie. En pratique, jamais ou presque. L’on ne sait pas lire, l’on a jamais vraiment fait travailler son esprit, l’on lutte durement chaque jour pour se nourrir et l’on a peu de temps libre et certainement pas d’argent. Donc apprendre se fait par osmose, on va avec quelqu’un, on fait ce qu’il fait, on répète mille et mile fois ses gestes. Si l’on veut devenir boucher, mosaïste, architecte, chevalier, sergent d’arme, l’on doit avoir un savoir, une expérience, et des outils… mais l’on a aucun moyen d’obtenir rien de cela.

Cet immobilisme a aussi des avantages. Depuis quelques siècles maintenant, les lignées nobles de France sont stables. Le comte du grand fief est le fils qui était le fils qui était le fils de l’ancien comte, etc. Cette stabilité des dirigeants apporte aussi une stabilité dans la fiscalité et la manière de gouverner qui rassure tout le monde. Contrairement à l’adage moderne, la guerre (ou le désordre) n’est bonne ni pour le commerce ni pour l’économie, bien au contraire.

Si l’Homme est isolé, l’homme lui est rarement seul. C’est une époque de groupe et de communauté, pour la survie physique, économique et mentale de tous. L’individu cède la place au groupe autour de lui, que ce soit sa paroisse, les travailleurs de son champ, son village, son fief.

Surnaturel

L’homme moyen sait qu’il y a des choses là-dehors qui ne sont pas humaines. Des sorciers qui pactisent avec le diable, des démons de nuit qui séduisent vos femmes pécheresses, des hommes bêtes qui dévorent ceux qui s’aventurent trop loin en forêt, le petit peuple qui joue des tours pendards aux bourgeois citadins niais mais qui aussi volent vos enfants ou les échangent contre les leurs, et beaucoup d’autres choses.

Un homme à bout de force, inconnu, étranger, arrive dans un village en pleine nuit. C’est très suspicieux. Mais si au matin, malgré les prêches de compassion du curé l’on s’aperçoit qu’il a une pilosité anormalement développée. Ou peut-être une malformation. Il risque très fortement au minimum un exil immédiat quelque soit son état, voir la pendaison, parfois même le bûcher. Vous souriez de ces superstitions paysannes ? Et bien d’abord souvenez vous que ce sont aussi les vôtres. Mais ensuite et surtout, qui vous dit que ce sont des superstitions ? Certes tous les bossus poilus ne sont probablement pas des loups garous, mais ô oui certains le sont. Qui souhaite prendre ce risque ?

Cela implique que contrairement à l’époque contemporaine, la nuit surtout en milieu rural, rien n’est accessible. Portes et volets fermés. L’on ne répond pas aux appels. Et l’étranger séduisant qui vient poser des deniers devant la porte de votre masure en échange d’un peu de foin et d’eau, on se bouche les oreilles et l’on prie très fort pour qu’il s’en aille. Ou même parfois, on répond aux appels de ses voisins et l’on sort tout en vindicte avec torches et fourches.

Contexte historique

La fin du XIIe siècle est une période de croissance. Après le chaos de la chute de l’empire romain, des invasions barbares qui ont suivi, puis de la tentative et enfin la chute de l’empire de Charlemagne, l’on arrive à un peu de stabilité politique. C’est au niveau global quelques siècles de stabilité qui vont venir, avant les fléaux de la Grand peste et de la Guerre de cent ans.

Le climat se réchauffe durablement, favorisant un essor agraire, mais aussi commercial, urbain et démographique (en France la population triple du XIe au XIIe siècle). Les cultures s’étendent, et la forêt recule grandement sous la cognée et le feu (à tel point que plus tard les seigneurs mettront des restrictions dures dans l’usage des ressources forestières et que la pierre remplacera petit à petit le bois devenu trop cher). Cette croissance économique et démographique s’accompagne de la mise en places de nouvelles structures sociales et politiques. L’emprise de l’Église et de l’État s’affirme, en même temps que s’établit des réseaux de solidarité tels que la vassalité, la paroisse, la commune et la corporation.

Au niveau agricole, qui rappelons le est la principale (et de loin) richesse, si les cultures s’étendent leur rendement s’améliore aussi. Meilleures techniques, meilleurs outils avec la maîtrise du fer, meilleurs gestion des animaux (de trait), de la force hydraulique (moulins). L’Église ne considère plus le travail des laïcs comme un châtiment divin mais comme une nécessité vitale pour la société.

Dans les villes, l’esprit de profit apparaît en même temps que l’essor de la monnaie et la redécouverte d’anciens concepts et théories romains. Le droit d’usage cède petit à petit face à la propriété, et la monnaie réelle numéraire se répand. L’esprit de profit pousse les commerçants à rechercher des nouvelles associations pour mobiliser des capitaux et faciliter les échanges sur de longues distances. Dans les campagnes par contre, avec cet essor économique les seigneurs commencent à s’habituer à une certaine forme de luxe, et s’engagent dans une pression plus forte qui exige des paysans des redevances en numéraires. L’homme ne travaille plus pour nourrir soi, les siens, son seigneur, mais il doit en plus générer un profit mercantile pour payer de nouvelles taxes.

Chronologie

Étant un gros flemmard, je n’avais jamais fini par écrire une chronologie sommaire de l’époque…

Politique & pouvoir

Depuis longtemps, le roi était faible. Il avait pour lui d’être sacré à Reims, et donc de régner « par la grâce de Dieu ». De simples mots qui revêtent un grand pouvoir. Mais ce pouvoir est loin d’être absolu. Nous sommes loin de l’absolutisme de Louis XIV, tout le contraire même.

Le jeune roi Philippe (second du nom, qui ne sera surnommé Auguste que bien après sa mort) est le seigneur de l’Île de France, et depuis peu de quelques autres territoires (surtout au nord). Mais face à lui, se trouvent d’autres très grands du royaume, parfois même plus puissants que lui : le comte d’Anjou, le duc de Normandie, le comte de Flandre ; et dans une moindre mesure le duc d’Aquitaine (depuis que l’ancienne reine répudiée, Aliénor d’Aquitaine, a transmis ce fief à l’Angleterre) et le comte de Champagne. La maison royale est une ancienne alliée de celle de Champagne, plus récemment de celle de Flandre, mais aussi de l’héritier de la couronne d’Angleterre : Richard I que les français appellent Cœur de lion. Mais les alliés d’hier sont les ennemis de demain. Il y a eu de fortes tensions avec la Flandre, et l’on commence à entendre des rumeurs d’un désaccord avec le tout nouveau roi Richard Cœur de lion depuis qu’il a ceint la couronne de son défunt père.

En France, l’unité historique de la terre est le pagu, et son seigneur est le comte. C’est le « vrai » noble le plus commun, d’un pouvoir datant parfois de Rome puis généralisé par Charlemagne. Les comtes doués agrègent les pagii et ceux ayant le plus de réussite se font couronner duc (en Normandie, Aquitaine, Bourgogne, etc.) ou marquis (dans les marches plus lointaines comme l’ancienne Gothie, en Toulouse et Provence). Ces derniers restent théoriquement inféodés au roi dont ils sont le vassal, mais leur pouvoir est énorme. Sous eux, les vicomtes sont des agents (presque des fonctionnaires) qui sont chargés de représenter le comte dans les villes et châteaux où il ne réside pas. Le baron est un ancien puissant homme d’armes, dont la situation génération après génération se transforme en charge nobiliaire. Le chevalier lui est encore loin d’être le noble, adoubé, plein de fin’amor (amour courtois) ce n’est encore qu’un milles, homme entraîné à la guerre avec la richesse pour pouvoir s’équiper de la sorte. Ce pouvoir et richesse en fait un noble d’épée, de fait, mais pas forcément un seigneur possédant droit de taxes et de justices sur un fief.

Ces anciens petits nobles, comtes de second rang et autres en-dessous fragmentent petit à petit la France en principautés semi indépendantes. Depuis quelques décennies on voit, grâce à la féodalité et aux serments de vassalité, le mouvement inverse s’opérer. La situation politique se stabilise, le recours à la force moins systématique. Le châtelain (le seigneur d’une châtellenie) est alors l’une des formes de noblesse la plus répandue, issue de la fragmentation et de l’ancienne indépendance des pagi.

Mais les nobles ne sont pas les seuls détenteurs du pouvoir. L’Église et ses religieux détiennent un pouvoir temporel (dans le siècle, c’est à dire concret, pratique) énorme. Abbés et évêques sont en tout sauf en nom des seigneurs, des propriétaires fonciers, parfois de tout premier rang (l’on a vu des abbés beaux-frères du roi, ou de nombreux évêques en cadets des grandes maisons d’Anjou, de Champagne ou de Flandre).

Le jeu des alliances et des serments de féodalité est complexe, et rend une compréhension du pouvoir théorique comme réel de chaque noble un exercice compliqué réservé à des personnes érudites dotée d’une formation poussée. Par exemple le comte de Troyes n’est le vassal direct du roi de France que pour Meaux ; il tient son fief le plus important (Troyes) du duc de Bourgogne, et d’autres grands fiefs de l’archevêque de Reims ; mais il est également le vassal de l’empereur allemand pour des terres situées dans l’Empire. Il peut également y avoir une grande différence entre la théorie et la pratique : le duc d’Aquitaine est le suzerain couronné d’une terre riche, proche du commerce de l’Ibérie et de l’Italie, avec accès sur la méditerranée, le fief le plus étendu de France (près du double de n’importe quel autre). Et pourtant, la puissance économique et militaire qu’il en retire et loin de celles de la Normandie et de la Flandre, toutes deux bien mieux organisées, policées, avec des vassaux moins indépendants et moins bagarreurs.

Justice

La justice est la volonté constante et perpétuelle d’attribuer à chacun son droit — Ulpien, 228 de notre ère

La théorie de la justice est entrain de changer, avec le début de la redécouverte du droit romain très différent des us et coutumes de ces derniers siècles (surtout au nord de la Loire, moins romanisé et plus mélangée aux invasions barbares). Les grands théoriciens comme Thomas d’Aquin arriveront sous peu, mais déjà se fait sentir un mouvement nouveau de rigueur écrite, de chartes précises, qui tranche avec les habitudes du passé. Et pas toujours au bénéfice des petites gens.

La pratique juridique est complexe, c’est un enchevêtrement de droits de justices qui se recoupent et s’opposent parfois pour déboucher sur des conflits de juridiction. Il faut distinguer le civil du criminel, la basse justice de la haute justice, les justices laïques des justices ecclésiastiques. Dans ce maquis judiciaire, un principe permet de trancher beaucoup de cas : la prééminence de la justice du lieu. Mais en cette période de transition, la multiplicité des juridictions entraîne souvent pour le pauvre justiciable une multiplication des amendes.

Les seigneurs puissants face à un pouvoir central faible possèdent le droit de ban sur leurs terres au même titre que d’autres biens. Ils peuvent le louer, le vendre, le monnayer, et ils cherchent à en tirer profits à travers de multiples systèmes d’amendes.

Ces droits sont fait valoir par la force le plus souvent. Les recours sont faibles : la négociation est très possible si l’on a quelque chose à négocier, sinon il reste l’appel à un seigneur plus grand, la révolte qui fini souvent dans le sang des faibles, le meurtre du seigneur est moins rare qu’on ne le pense, mais surtout l’intervention divine (qui casse la corde d’un pendu, qui foudroie le seigneur, qui ouvre la porte d’un cachot, etc.) est elle relativement fréquente.

Quelques constantes de justice restent : démence ou somnambulisme rend irresponsable, la légitime défense (modérée) est acceptée. La violence est en générale tolérée, quand elle est privée, dans le cadre d’une vendetta, ou nobiliaire ; elle peut même être souhaitée. La remise en cause de l’ordre social est une remise en cause de la volonté de Dieu par contre. Mais la diversité des époques et régions, coutumes et us locaux, est la norme (à Tonnerre les « crimes énormes » comptent l’adultère, le viol et l’homicide ; à Montpellier les crimes de sang mais ni viol ni adultère ; à Avignon le vol, la rapine, l’homicide et le rapt).

Au XIIe siècle les ordonnances de justice royale, centrale, sont rares et souvent sans effets. Les premières datent plutôt du XIIIe siècle et prennent toujours en compte les coutumes locales pour le droit pénal.

La violence reste forte, et omniprésente. Les homicides sont les 3/5e des lettres de rémission (jugement) royales. Les rixes sont les délits les plus fréquents, et de loin. Les crimes et délits dans le cercle familial sont nombreux mais restent privés et ne sont donc pas condamnés. La jacquerie (révolte contre l’ordre établi, contre les seigneurs) s’étend au XIII et XIVe siècle. Les viols sont rarement déclarés et donc condamnés. L’homosexualité de même, la bestialité est bien plus fréquente par contre.

Au XIIe siècle le pouvoir royal commence tout juste à s’affirmer, et terre par terre. Le reste est sous le domaine de la justice du seigneur, sans appel et mal perçue. On lui préfère plutôt d’autres recours plus rapides et plus sûrs : procédure de paix (choix mutuel d’un arbitre tiers) par laquelle se décide une transaction (décision obligatoire) ou une médiation (décision facultative). Parfois des tribunaux locaux privés fonctionnent. Dans tous les cas il n’y a pas de formalisation de leur autorité, ils prennent donc bien soin d’avoir de nombreux et forts témoins en rendant leur « jugement ».

La justice ecclésiastique reste la seule vraiment organisée et huilée, basée sur un droit canonique vraiment poussé, mais sa juridiction reste limitée. Elle est toutefois difficile à attaquer, et rend des peines souvent bien plus légères, les statuts sociaux (comme clerc) qui donnent droit à un jugement canon sont donc recherchés.

La procédure accusatoire

Au XIIe mais surtout au XIIIe siècle, la justice royale s’affirme. Différentes courts se mettent en place, ainsi qu’un système d’appel ou le plaideur peut remonter petit à petit jusqu’à la Curia regis (le jugement du roi par sa cour de justice et ses conseillers) qui au milieu du XIIIe siècle devient le Parlement.

La justice royale fixe la procédure pénale sous la forme accusatoire : seule la victime peut déclencher le procès (il n’y a pas de ministère public), le juge devient un « simple » arbitre. La procédure repose entièrement sur la preuve dont la charge incombe à l’accusé : serment, jugement de Dieu, preuve par témoin ou par écrit. Le serment disparaît petit à petit, le jugement de Dieu comme duel judiciaire (avec champion souvent) comme ordalie (par l’eau chaude ou froide, le fer rouge) reste fréquente au XIIe siècle. Le roi cherche des preuves qu’il peut réglementer et contrôler, et essaie donc de supprimer les preuves surnaturelles (serment, ordalie, et duel judiciaire).

Ses hommes

Pour faire respecter justice (et fiscalité surtout !) les seigneurs s’entourent de beaucoup d’aide : percevoir les redevances de la tenure (le cens//), surveiller les récoltes pour les taxes proportionnelles (comme le champart//) par des gardes des moissons, surveiller l’exploitation de la forêt, et en général tous les droits d’usage. Cette surveillance demande surtout beaucoup d’hommes dans les villes et les châteaux.

Par exemple à Mâcon au XIIe siècle, le comte entretient dans son château : un prévôt, un sénéchal, un chambrier, plusieurs péageurs, des monnayeurs, des sergents. À cela s’ajoute les hommes de l’évêque, et ceux des chapitres de la ville.

Ces hommes chargés de la « police » sont souvent désignés sous le terme générique de ministri ou ministériaux. Ceux qui sont spécialisés portent le titre de leur charge : cellérier responsable de la cave, gruyer responsable des bois, voyer pour la voirie, meunier pour le moulin, etc. Les plus importants sont les sergents (valets armés qui deviennent petit à petit chefs d’hommes d’armes) ou surtout maires ou prévôt (chargés de l’ordre, et donc du foncier et de la basse justice – amendes jusqu’à 60 sous).

Ils sont surtout recrutés parmi les domestiques, enfants des serfs, etc. mais restent sans formation d’aucune sorte. Ils sont choisi parmi les non-libres pour qu’on soit sûr de pouvoir les punir à loisir. Mais avec le XIIe siècle ceux-ci s’enrichissent et donc s’émancipent rapidement. On leur fourni des petits fiefs où ils exercent un pouvoir total, et une partie des amendes qu’ils infligent pour les motiver. Ils vont parfois même jusqu’à prêter de l’argent à ceux qui sont à bout à cause de ces même amendes, pour ensuite pouvoir leur prendre leur bien (cf retour du droit romain) quand ils ne peuvent rembourser. Ils s’émancipent tellement qu’ils échappent parfois à leur seigneur (temporel ou ecclésiastique), il refusent de rendre tous les hommages dus voir même menacent ou s’attaquent directement au seigneur. Les procès des seigneuries ecclésiastiques contre leurs ministériaux sont loin d’être rares. Ces derniers se soutiennent les uns les autres, sont liés par des mariages, et font front contre les seigneurs ce qui paralyse la justice.

Mais contrairement à l’Empire, ces ministériaux si ils peuvent avoir le train de vie des chevaliers et nobles, ils n’atteignent que rarement la noblesse pour eux-même.

Cette police a donc une fonction administrative, fiscale, et pousse la productivité. Mais certainement pas une fonction de maintien de l’ordre, qui reste du domaine de la vengeance privée.

Armées et militaires

Le système militaire a conservé ses origines germaniques barbares, et entre autre l’idée d’exiger de tout homme libre le service militaire en faveur du détenteur du droit de ban (droit de commander et de contraindre, plus haut droit que peut posséder un seigneur sur une terre). Cet ost est la première source de recrutement militaire dans le système féodal, mais depuis quelques décennies il ne suffit plus et l’on recours de plus en plus au mercenariat. L’essor des communes urbaines et rurales entraîne l’apparition des milices urbaines et de contingents d’auxiliaires issus des communautés rurales.

Depuis longtemps, le cœur de l’armée est l’homme d’arme à chevalier, lourdement armé (lance, épée) et armurée (la plus grosse armure est le lourd jaseran intégral de mailles, l’armure de plaques que l’on voit dans les films n’existe pas encore). Autour de ce cavalier lourd, des gens d’arme à pieds, et derrière lui des archers ou arbalétriers. Les armes de sièges sont cruciales, mais pas encore généralisées car le manque de lourdes fortifications en pierre systématiques ne justifient pas toujours le siège et les vrais professionnels de ces armes commencent tout juste à exister.

En-dehors des professionnels de la guerre (chevaliers, nobles, mercenaires), dans les milices par exemple, l’équipement est plus simple : au mieux simple casque de fer et haubergeon léger (cotte de maille légère et très courte), mais plus généralement de simple cottes de tissus (casaque rembourrée, gambison) ou un peu mieux de cuir cousue de renforts en métal. Épieu, lances et couteaux comme arme, à moins d’avoir un arc (mais la formation d’un archer est longue et coûteuse, les légendaires archers longs anglais qui déciment le chevalerie française n’existent pas encore, ils étaient pris parmi les meilleurs de tout un peuple qui pratiquait le tir à l’arc comme sport national chaque dimanche, et dotés d’une formation quotidienne qui peut commencer avant même la puberté ; formation tellement dure qu’ils en tirent des malformations physiques) ou une arbalète.

Ces deux armes, arcs et arbalètes sont terriblement efficaces. À tel point que le Pape en concile a récemment interdit leur usage contre d’autres chrétiens. Interdiction souvent restée sourde, qui sera dans le futur plusieurs fois réitérée sans beaucoup plus de succès. L’arbalète est toutefois plus chère et fragile que l’arc, et bien moins efficace le champ de bataille ; mais elle est bien plus simple d’emploi.

Le bouclier est commun pour les vrais combattants, car indispensable et très puissant en défense. Il deviendra plus rare dans le futur quand les armures s’alourdiront tellement que les armes à deux mains se généraliseront pour passer ces armures.

Le chevalier lui doit avoir un équipement complet : armures et armes multiples (lances à pied et montées, masses, parfois hache), servants, plusieurs montures. Tout cela est très cher, et il le finance seul. Peu de chevaliers ont la totalité de l’équipement, et rarement le plus avancé. Mais malgré cette multiplication de l’équipement en fonction des besoins, l’épée reste l’arme symbolique du chevalier. Symbole qui se renforce encore avec la mystification du chevalier (amour courtois, adoubement, mission sacrée), qui commence dans le sud de la France mais est encore loin d’être répandu partout. L’épée se transmet de père en fils, porte un nom, est marquée des armes ou devises du lignage.

Les paysans eux, ne possèdent pas d’armes à proprement parler. Ils ont néanmoins des outils agricoles, fourches et fléaux en tête, qui peuvent être utilisées avec des succès divers.

Le refus de la guerre

Depuis longtemps, l’Église agit comme un contre pouvoir aux nobles et chevaliers sur la question de la violence. Le mouvement de la paix de Dieu (Pax Dei) part de l’Aquitaine un peu avant l’an mille et se répand ensuite vers le nord. Ce mouvement est extrêmement populaire, les petites gens souffrant le plus des multiples guerres privées des seigneurs en mal d’action ou ambitieux. Les conciles de paix se multiplient, les trêves de Dieu (pas de guerre tel jour, ou telle semaine sainte, etc.).

Il y a 150 ans l’évêque de Bourges en appelle publiquement au peuple, et la ligue de paix se forme : une véritable armée populaire, un énorme mouvement social en France. Formée de paysans et citadins, dirigée par des prêtres, elle s’attaque à la noblesse du midi. Après d’impressionnants succès elle est écrasée par la cavalerie noble. Mais le mouvement sous-jacent persiste, et devient à notre époque la paix du roi en parallèle avec l’affirmation de son pouvoir et la notion d’un véritable état, la France.

Depuis les croisades, les chevaliers en mal d’action ont fort à faire et leurs exactions locales se font moins nombreuses, que ce soit contre le peuple ou les religieux. L’idée de rentrer de force dans le sanctuaire que constitue une église devient plus horrible. Mais même si cette violence ne disparaît pas totalement, les relations entre les gens de guerre et les ecclésiastiques s’améliorent petit à petit. Il y a quelques générations à peine, les moines et prêtres vilipendaient publiquement les chevaliers et consorts, leur promettant les flammes de l’enfer pour leur choix de carrière, influaient lourdement sur les gens au retour des croisades pour qu’il abandonnent les armes comme métier. Aujourd’hui les choses sont beaucoup plus nuancés, et dans le midi de la France on voit même les toutes premières cérémonies d’adoubement sacré des chevaliers.

Mesures et monnaies

Les mesures sont extrêmement complexes : elles changent avec le temps, changent de région en région, de ville en ville, et sont souvent falsifiées. Il serait vain d’en faire une liste, sachez simplement que les calculs de conversion sont complexes, et que pour les professionnels il existe des offices spécialisés (dans les marchés des villes, les foires) chargés de ces conversions. Les grands centres commerciaux (comme les célèbres foires de Champagne, les plus grandes et riches de toute l’Europe) financent d’ailleurs des fonctionnaires dont la mission est entre autre le contrôle des outils de mesure pour établir la confiance de tous.

Pour la campagne, nous garderons des choses simples :

  • La livre est un poids d’un demi kilo
  • Le pouce est une longueur de 2,5 cm
  • Le pied est une longueur de 30 cm
  • La lieue est une longueur de 3 km
  • Le mile est une longueur de 1,6 km, ou environ 1,8 sur mer
  • Et bien sûr les unités métriques tant qu’elles sont hors-roleplay

Pas de panique, vous n’avez pas besoin de les retenir par cœur, ça viendra avec le temps 🙂

Pour la monnaie, la chose est la même. Nombreuses monnaies différentes, dévaluations, le tout très complexe. Il existe tout de même quelques valeurs de référence. Et tout d’abord, il existe deux monnaies. Monnaie réelle (les pièces de monnaie) : basée sur le denier (240 deniers dans 490 grammes d’argent). 1 denier = 2 oboles ou mailles = 4 pictes ou poges. Le denier est généralement une petite pièce de billon (25 à 50% argent, 5% plomb, reste en cuivre) de 1 gramme. Monnaie de compte (fictive, d’écriture) : livre et sou.

Il y a de nombreuses variations régionales, surtout en passant de la monnaie de compte à la monnaie réelle. Le système dit « tournoi » est un système de référence pour ces monnaies régionales.

Au total : 1 livre = 20 sous = 240 deniers = 480 oboles/mailles = 960 pictes/poges

La fausse monnaie, généralement des pièces ayant moins de métal noble qu’il n’en faudrait, ou de poids réduit, est très répandue. Mais la répression est féroce contre les faux monnayeurs, les peines de mort fréquentes et les exécutions avec torture pas si rare que cela pour ces gens là.

La monnaie scripturaire (écrite, de crédit ; l’on dirait aujourd’hui un chèque) existe depuis quelques temps et est très utilisée par certaines catégories. D’abord par les grands marchands, surtout dans les foires, pour éviter les désordres et problèmes induits par le paiement en grande quantité de pièces, mais aussi pour des techniques commerciales avancées (crédit, acompte, paiement différé, etc.). Rappelons toutefois que l’Église interdit très fortement l’usure (prêter de l’argent avec des intérêts), qui est à cause de cela le domaine réservé des juifs (qui sont vilipendés pour cela, mais surtout par jalousie de la richesse que cela leur apporte). Les lettres de crédits sont aussi utilisées par les nobles pendant les croisades, pour éviter les vols et les problèmes de changes de monnaie lors de leur long voyage vers la terre sainte.

Habitat

La maison paysanne est faite d’une charpente de bois, comblée par du torchis (branchettes de bois ou jonc engluée dans un mélange de terre et de fibres végétales comme du foin), une simple couverture végétale (chaume) pour le toit. Ces habitats rudimentaires sont fragiles, et construits par les paysans eux-même. La maison est généralement en longueur, séparée en deux pièces : une pour les bêtes, comme cellier (elle est parfois à demi enterrée, pour baisser la température et préserver la nourriture) et autre ; l’autre comme pièce de vie avec le foyer près de la porte. La zone de repos est d’habitude dans le foyer, mais l’on commence à la voir déplacée dans la seconde pièce (en particulier dans les régions froides où la proximité des bêtes aide à la chaleur). Parfois un grenier ou fenil est ajouté.

Avec l’essor que connaît la période, l’on commence à voir apparaître une amélioration de la demeure paysanne : d’autres bâtiments sont ajoutés : granges, étables, parfois écuries, distribués autour d’un cour le plus souvent fermée. Les constructions commencent à devenir plus solide avec l’appel à de vrais charpentier et maçons. Mais les progrès se diffusent lentement : rares sont les cheminées, les foyers au sol dominent encore (parfois délimités par un dallage de pierre ou de brique), les pièces restent sans fenêtres. Beaucoup de maisons sont sombres et enfumées.

En ville, l’habitation ordinaire reste l’héritière de la maison paysanne. Mais avec l’augmentation de la population, dans un territoire fini (les enceintes de la ville) et bientôt encombré, l’on commence à voir des constructions étagées en pierre. Au rez-de-chaussé l’ouvrir ou la boutique donnent directement sur la rue, la salle est la pièce à vivre et à travailler de la famille. À l’étage les chambres abritent la vie privée du foyer. Dans certaines professions la disposition est inversée : orfèvre à cause de la sécurité, tisserand pour la lumière, etc. Ces pièces sont exiguës : à Paris, entre 10 et 20m².

Les maisons des élites urbaines se distinguent par leur taille, le luxe de leur construction, la présence de jardins et d’écuries. Elles conservent des pièces typiques du château seigneurial : aula (hall) ou salle voûtée, tour, associées à des bâtiments de plusieurs étages, cour avec écuries et jardins. Elles comportent en outre une chapelle ou un oratoire privée, et on y trouve (parfois) les derniers progrès : cheminée, vitres, tuiles ou briques, latrines, évacuations des eaux usées ; plus fréquemment des cuves à baigner, bassins, seaux, cuves à lessive, etc.

Les fenêtres en général relèvent du luxe. Elles sont formées par des lames d’albâtre, des vitraux colorés, des vitrages ou des toiles huilées ou cirées et fermées par des volets de bois. Chez les moins riches, de simples planches de bois obturent les rares ouvertures.

Les maisons étant sombres, l’éclairage artificiel est obligatoire. Les cierges de cire sont réservés aux plus riches et aux églises, pour les autres la lampe à huile (souvent une simple coupelle de terre cuite ou de fer) et la chandelle de graisse animale constituent l’unique éclairage.

Des puits filtrants approvisionnent leurs habitants en eau potable.

Dans les maisons paysannes, le couchage est réduit à un lit exigu, simple cadre de planches rempli de paille sur lequel est jeté un matelas de déchets textiles, parfois de plumes. Chez les riches le lit est grandiose, c’est souvent le meuble le plus coûteux de la maison médiévale. Les autres meubles sont peu nombreux : coffres, étagères, et en ville placards et dressoirs. Les tables à tréteaux commencent à être remplacées par des tables à quatre pieds. Le mobilier (jusqu’aux tentures, tapis, équipement de guerre) est presque l’unique décoration même d’un grand château (ce qui explique qu’à l’époque moderne on les trouve vides, mornes et froid) car l’héritage du noble itinérant habitant chez ses vassaux tout au long de l’année se fait encore sentir. Le mobilier est donc amovible et transportable (façon de parler).

La décoration est un luxe. Chez les paysans, l’on trouvera tout de même un bénitier très répandu, parfois une natte de paille.

Temps

Pour l’homme du Moyen Âge, il n’existe pas un temps unique mais plusieurs rythmes temporels imbriqués les uns dans les autres. Le temps eschatologique projette l’homme vers les fins dernières de l’humanité (le Jugement dernier et la résurrection des morts) et le ramène à la pensée de sa propre fin. Le temps cyclique fait revenir périodiquement les saisons (marquées par les travaux agricoles et les rituels des Quatre Temps) ; ainsi que les fêtes inscrites dans le calendrier liturgique (fêtes des saints, mais aussi étapes de la vie du Christ et de la Vierge). Plus proches de la vie quotidienne, le mois, la semaine et le jour sont des repères familiers même si les dates mentionnent plus volontiers les grandes fêtes que le quantième des jours dans le mois. La vie de l’homme est également rythmée par des rites de passage que l’Église s’efforce de faire coïncider avec des sacrements (baptême, communion, confirmation, mariage et extrême onction).

Le calendrier a des déjà des repères modernes : il débute son compte à la naissance du Christ (située le 25 décembre de l’an 1 depuis un demi millénaire) ; la durée de l’année est fixée à 365 jours et six heures répartie sur douze mois depuis Jules César. La semaine est décrite dans la Bible. Par contre le début de l’année varie selon les régions et les milieux. En France au XIIe siècle, le début d’année le plus répandu est Pâques (qui tombe à une date variable extrêmement complexe à calculer). L’Église a une légère préférence pour le 1er janvier (date de circoncision du Christ), mais l’année commençant le 1er janvier ne sera pas généralisée avant le XVIe siècle !

Le repérage des jours dans le mois s’effectue selon deux moyens :

  • Selon la tradition romaine, on signale les calendes (1er jour), les nones (5e ou 7e jour) et les ides (13e ou 15e jour), ou bien plus rarement l’on donne le quantième du jour dans le mois (17e jour, 22e jour, etc.).
  • Selon la tradition héritée des babyloniens, on nomme également les sept jours de la semaine. L’Église tente en vain de remplacer les noms planétaires (lundi jour de la lune, mardi jour de Mars, etc.) par une numérotation des féries qui ne sera jamais vraiment utilisée.

Le dimanche est sanctifié, voué au Seigneur depuis plus de six siècles, mais de nombreux édits sont nécessaires pour faire appliquer ce repos dominicale. L’assistance à la messe commence à être obligatoire le dimanche, tandis que les œuvres de piété restent facultatives (visites aux malades, aumônes, etc.).

Le calendrier liturgique est associé aux saisons (et leur importance agricole) pour marquer le temps dans l’année. Carême (maudits par beaucoup pour son jeun terrible), temps de l’Avent, temps pascal, temps de Noël, etc.

Les moyens de mesure du temps restent imparfaits. Les cloches des églises marquent tous l’égrènement des heures canoniales. Très rarement les cloches des beffrois marquent la puissance et l’indépendance des bourgeoisie des villes en marquant les temps de travail. Les instruments eux restent encore le cadran solaire, le sablier, la chandelle et parfois la clepsydre. L’horloge mécanique est pratiquement inconnue encore.

Rites de passage

L’individu considère sa vie sous la forme de passages successifs d’un âge à l’autre, chaque âge étant caractérisé par ses vices et vertus et une répartition particulière des 4 humeurs dans le corps. Sont ainsi reconnues :

  1. La petite enfance (naissance à 7 ans), âge d’innocence (si l’on est baptisé !), de pureté et d’ignorance ;
  2. L’enfance (7 à 14 ans) âge du développement physique et de l’acquisition de la conscience religieuse ;
  3. L’adolescence (14 à 21 ans) période de trouble et d’éveil sexuel, âge des choix de vie ;
  4. La jeunesse (21 à 28-30 ans) période des premières responsabilités familiales et professionnelles ;
  5. L’âge adulte (28-30 à 50 ans) époque de maturité physique et affective ;
  6. La vieillesse (50 à 70 ans) époque de décrépitude, désillusion et peur de la mort.

Attention à ces noms, ils n’ont pas le même sens qu’à notre époque moderne. La majorité des gens travaillent déjà durement à l’adolescence. Pas de contraception efficace et pas d’enseignement, les premiers émois sexuels se transforment vites en premières responsabilités parentales. Etc. Et la mortalité étant ce qu’elle est, la fin de vie peut frapper avant la vieillesse.

Langues

L’ancien latin de l’Empire romain, transformé en latin vulgaire ou gallo-romain, fini au IXe siècle de se séparer complétement : oc au sud de la Loire, oïl au nord, et bien sûr une version plus pure (mais qui s’adapte aussi avec son temps) du latin savant.

  • Le latin reste la langue de l’écrit, mais aussi la langue savante par excellence, voir la seule. Il est impossible d’obtenir un savoir érudit poussé sans avoir une bonne connaissance du latin (mais il est aussi impossible de pousser son savoir à l’extrême sans sortir du latin pour s’aventurer dans le grec, l’araméen, l’arabe, le perse, et autres langues anciennes ou exotiques). Lui même se divise en :
    • Latin romain, ecclésiastique de haut rang mais aussi celui de la bible et donc entendu (mais non compris) tous les jours par tous aux offices, chaque dimanche à la messe, etc.
    • Latin littéraire, utilisé par les auteurs généralement de fiction.
  • Les langues d’oïl, en terres romanes au nord de la Loire, qui ont une même base mais des accents et un vocabulaire parfois très différent. L’on y trouve : le français (ancien français) qui au XIIe et XIIIe siècle devient koinè (langue interdialectale servant partout) ; et le berrichon, le bourguignon-morvandiau, le champenois, le franc-comtois, le gallo, le lorrain, le mayennais, le normand, le picard, le poitevin-saintongeais dans ses deux variétés : poitevin et saintongeais, le wallon. L’oïl s’affirme au XIIe siècle dans la chanson de geste avec la Chanson de Roland restée célèbre, et les trouvères (version nordiste des troubadours du sud).
  • Les langues d’oc au sud de la Loire, dont l’acte de naissance est les poèmes de Guillaume IX chantre de l’amour courtois, le premier troubadour.

Les traductions du latin en langues vernaculaires (parlées par tous au quotidien) commencent à se multiplier au XIIe siècle, ici à l’initiative des moines. Surtout des textes liturgiques et théologiques, mais pas uniquement : des romans (traductions d’anciennes épopées antiques), des chants, des œuvres lyriques, etc. De même, ces enfants du roman commencent à remplacer le latin dans ses domaines quotidiens anciennement exclusifs : chartes, coutumes, testaments, chroniques, contrats, grammaire, etc. Seuls les arts (que l’on appellerait science aujourd’hui) importants, comme la théologie, la philosophie, etc. restent exclusif au latin.

Pour la campagne, sauf cas particulier, l’on considérera chaque famille de langue comme une langue commune. Vous n’aurez pas besoin de faire la différence entre le poitevin et le berrichon sur votre fiche de personnage (ouf !), mais simplement entre l’oïl, l’oc, le latin, le grec, l’arabe, le slavon, etc. Le MJ gérera ces questions de dialectes au cas par cas ensuite.

L’écriture

L’écriture est issue de la graphie caroline, imposée par Charlemagne en son temps. Elle aboutit à notre époque à l’écriture gothique bien connue, qui se veut (pour l’époque) extrêmement lisible. Mais les besoins intellectuels et commerciaux grandissant énormément, celle-ci se divise en trois grands groupes : l’écriture d’apparat ou ecclésiastique, l’écriture bâtarde et maniérée des romans, l’écriture universitaire avec ses raccourcis et abréviations particulières, et bien sûre l’écriture commune des marchands et autres.

Le support utilisé est le parchemin (peaux d’animaux jeunes), la pierre étant trop peu pratique et l’ancien papyrus trop sensible à l’humidité. Le parchemin commun est issu du mouton, le vélin haut de gamme des très jeunes veaux. Les peaux calibrées sont pliées et reliées en formes de codex (de « grimoire » si vous préférez), ou cousues bout à bout pour former des rouleaux (qui peuvent faire plusieurs dizaines de mètres de long). Le papier n’existe pas encore.

La pratique de l’écriture est restée longtemps un monopole des moines, les seuls à avoir tout le temps libre et la possibilité de se concentrer sur ce travail difficile. C’est lent et fastidieux, copier la bible prend une année entière ! Depuis quelques décennies, l’écriture et la copie sort (un peu) des monastères grâce aux chancelleries épiscopales, princières et royales, qui met en avant de nouveaux copistes encore clercs mais attachés à la création d’actes profanes. Ce mouvement commence aussi à toucher le monde marchand, avec le tout début des actes notariés.

Loisirs

Pour la France rurale et pauvre, les loisirs sont rares voir inexistants. Le paysan doit nourrir lui-même, sa famille, participer à l’alimentation du reste de la communauté, et créer de quoi remplir les taxes et le surplus commercialisable pour les nouvelles taxes. Il n’a que peu de temps libre, et peu ou pas de moyen. Or la demande modèle l’offre, et l’image d’une ou plusieurs tavernes (ou pire, auberges) dans chaque village où l’on vient dépenser sa monnaie n’est qu’un cliché de l’heroic-fantasy.

Toutefois, tous ne sont pas écrasés par la pression fiscale qui va de pair avec la croissance économique et démographique que l’époque connaît, certains tirent leur épingle du jeu. Mais dans la plupart des cas, le jeu et le loisir reste l’apanage de la noblesse, et des citadins.

Jeu

Il existe quatre type de jeu les plus répandus :

En jeu sportif, le jeu de paume (ancêtre du tennis et sports assimilés, l’on compte d’ailleurs les points comme au tennis moderne). L’on frappe une balle avec la main contre un ou plusieurs murs (il ressemble alors un peu au squash dans sa version a plusieurs murs), ou dans certaines variantes dans un court au-dessus d’une corde, d’un filet, ou d’un muret. Les jeux actuels de fronton et de chistera basques en sont assez proches. Le jeu de paume fait fureur à l’époque, à tel point que l’on a vu les autorités dans certaines villes parfois interdire sa pratique en semaine car la population quittait leur foyer et même leur travail pour aller jouer ou assister aux parties ! Encore pire qu’une coupe de monde de fouteballe aujourd’hui ! Les joueurs ne sont pas encore professionnels de nom, mais déjà certains en vivent grâce aux paris et au support de certaines hanses (guildes commerciales) ou nobles. Et les femmes ne sont pas en reste quand il s’agit de briller sur les terrains.

En jeu de société, le trictrac (ancêtre du backgammon) est courant. Plateaux dés et pions que l’on doit faire entrer puis sortir avant ceux de son adversaire.

Il existe de nombreux jeux de dés (les jeux de cartes sont encore inconnus à l’époque), avec des règles changeant parfois d’un village au suivant. L’on peut par exemple citer la mourre (avec ou sans dés d’ailleurs), on l’on doit deviner les résultats du groupe d’adversaire (l’on voit une variante de ce jeu jouée à bord du Hollandais Volant pour ceux qui ont visionné Pirate des Caraïbes).

Les échecs eux existent déjà, et sont le jeu de la noblesse par excellence. Pour certains il participe même à l’éducation intellectuelle du jeune noble combattant, lui enseignant la stratégie, la patience. Un jeu très approprié puisque favorisant le corps à corps, les déplacements lents. Les règles et les pièces ne sont pas encore celles du jeu moderne.

Il en existe beaucoup d’autres, comme de nombreuses formes de marelle où l’on place des pions à des intersections pour capturer ceux de l’adversaire (quelque chose entre le go, le pente, le morpion et le puissance 4). Ou encore les dames, mais avec des règles différentes. Ou des jeux purement de mots comme le roi qui ment (action ou vérité), très enfantin.

Arts nobles

Le reste des loisirs est vraiment l’apanage de ceux qui peuvent se les payer. Musique, gestes déclamées par des trouvères, les tournois pour les chevaliers (qui ne sont pas du tout des joutes comme en voit dans les films mais des mêlées générales, souvent sanglantes, que l’Église réprouve fermement), banquets, etc.

Loisirs du peuple

Il existe toutefois certaines occupations qui peuvent être considérés comme des loisirs, et sont accessibles à tous ou presque :

La chasse, est plus une nécessité pour certaines petites gens que pour les nobles qui la voit plus comme un sport.

Le voyage, dont le seul type normal que tout un chacun peu envisager est le pèlerinage. Les dangers même sur des routes connues (comme celles de Compostelle) fait que l’on hésite à les qualifier de loisir au sens moderne.

Les fêtes, en particulier religieuses, sont nombreuses et parfois dotée d’un grand faste. À citer également, le théâtre liturgique.

Enfin pour les citadins, les bains, étuves et thermes. Présentes dans toutes les villes médiévales, ils ont une importante fonction sanitaire mais sont aussi connus de tous comme lieu de débauche et de sexualité débridée. Sans être totalement accessible financièrement, seuls certains sont haut de gamme et réservés aux nobles (qui y amènent alors leur hôtes et invités d’importance). Certains riches particuliers possèdent leur propre étuve, à la façon des anciens riches romains. Les termes des bains thérapeutiques restent présents et célèbres aux lieux de sources chaudes, sans la connotation sulfureuse des étuves citadines.

Noms

La religion chrétienne ne reconnaît qu’un seul nom : celui donné lors du baptême. En France les prénoms populaires sont ceux de l’histoire de la foi : Marie, Martin, Michel, Pierre, Guillaume, etc. Les maisons nobles importent de l’étranger ou du passé d’autres noms ancestraux (Philippe, Baudouin) qui sont ensuite passés aux fils. Même dans les familles modestes, cette tradition de passer le nom du père au fils est bien ancrée. On utilise alors des diminutifs tant que le père est encore en vie, ensuite le nom revient à sa forme initiale quand le fils « prend la place » du père : le fils de Pierre s’appelle Perrin, Perrinet jusqu’à la mort du père par exemple. Parfois l’on garde ce nom modifié toute sa vie.

En plus de l’unique nom (que l’on appellerait prénom aujourd’hui), depuis le IXe siècle dans certaines régions ont adjoint un second nom. Cette pratique est devenue presque courante à la fin du XIIe siècle. Ce deuxième nom, peut être celui du fief principal pour les grandes familles (Mathieu, sire de Montmorency devient Mathieu de Montmorency), celui du père (l’on prend parfois son nom parfois son diminutif, l’on trouve alors des Pierre Perrin mais aussi des Perrot Pierre), celui de l’origine géographique, du métier (Jean le boucher devient Jean Boucher), des particularités physiques (le Chauve, le Tort, le Brun). Également des noms d’animaux apparaissent, surtout mammifères et volatiles.

Ces noms ne sont pas encore des patronymes. Ils sont utilisés de façon très pratique, quand vous êtes le quatrième Pierre d’une communauté il faut bien trouver quelque chose.

Blason

Autre signe identitaire, le blason. Celui-ci a une fonction pratique pour les nobles (identifier son opposant ou allié en bataille) qui n’est pas encore généralisée : l’on ne mettra systématiquement ses « armes » (blason) sur son écu que quand les casques se transformeront en lourdes heaumes masquant le visage, rendant impossible la reconnaissance d’autrui. Mais ils ont aussi fonction de symbole : devenues héréditaires, ces armoiries participent à l’élaboration d’une identité et d’une mémoire familiale et lignagère.

D’ici quelques décennies, cette pratique se répandra auprès des femmes, ecclésiastiques, citadins, artisans et même aux paysans. Ce n’est que plus tard au XIVe siècle que les personnes morales (corporations, guildes, villes, etc.) s’en dotent.

Contrairement à une idée reçue, le blason n’est donc pas un privilège nobiliaire. La seule règle est de ne pas usurper celui d’autrui.

Vêtements

La toile est utilisée pour les sous-vêtements et les vêtements d’été. Le drap de laine pour les vêtements de dessus, et la soie pour les ornements du culte et d’apparat. Dans certains cas (riches et zones froides) des fourrures sont utilisées, portées poil à l’intérieur.

Le costume populaire évolue peu par manque de moyens. Il s’adapte aux saisons et activités. C’est un habillement minimal d’étoffe et de teinture médiocre, à la coupe rudimentaire et étriquée.

En revanche le costume masculin noble est celui qui évolue le plus. Il imite ici les vêtements longs et amples des Méditerranéens, avec très rarement ici et là des pointes de vêtements ajustés (mais leur généralisation –pourpoint & chausses– ne viendra que plusieurs siècles plus tard).

La qualité des étoffes, l’intensité des couleurs, la richesse de l’ornementation donnent à voir le statut social. Le rouge intense (teinture au kermès) est le plus apprécié, mais l’on voit parfois pointer des modes de couleurs pastels, ou de bleu.

Le vêtement féminin évolue moins. la coiffure y revêt une importance particulière : d’abord simple voile, elle devient pour certaines paysannes d’avant garde un chaperon noir ou rouge ; et dans l’aristocratie une construction savante de toiles et de soieries.

Le vêtement est un marqueur social fondamental. Certaines catégories arborent des costument qui les désignent aisément : Juifs, cagots, prostituées, religieux, lépreux, paysans. En revanche en milieu urbain, la bourgeoise parvenue tente de se donner les apparences de la Dame. Les lois « somptuaires » édictées par quelques villes sont là pour rappeler que chacun doit rester à sa placer afin de préserver l’ordre social. La promulgation de ces lois commence parfois à s’accompagner de serments enflammés de moines, et de bûchers sur lesquels sont brûlées les « vanités » (les vêtements et coiffures jugés trop luxueux, les perruques et produits de beauté, ainsi que les jeux de toutes sortes).

Alimentation

L’alimentation de base des paysans est la céréale grossière : le seigle avant tout, mais également orge, avoine, épeautre, millet, sorgho, panic. Des légumes s’y rajoutent. L’on mange surtout des bouillies de céréales, des soupes, des légumineuses (lentilles et fèves), et de la farine de châtaigne. L’assaisonnement est simple, ce que l’on trouve dans un petit jardin : ail principalement, orties, etc. L’on adjoint du poisson salé ou saur quand on le peut, et des boissons fermentées mais faiblement alcoolisées : vin (souvent coupé avec de l’eau car de mauvaise qualité), cervoise, et les tous débuts modeste de la bière.

L’on commence à voir un mouvement de restriction de la chasse, à cause de la généralisation de la déforestation. Dans certains endroits déjà, l’accès à la viande est un signe de richesse. Cela reste encore une minorité mais s’étend petit à petit.

En ville, grâce aux marchés, la population accède à une alimentation plus variée : fruits, légumes, viandes ovine et bovine. Cette diversité privilégiée devient un handicap en cas de disette : les prix flambent et les citadins n’ont pas de jardin pour le consommation personnelle, contrairement aux paysans. En ville la céréale la plus vendue est le froment, qui donne un pain blanc bien plus apprécié que le pain noir (au seigle) des paysans.

À noter que beaucoup de mets actuels sont inconnus à l’époque : la tomate (XVIe siècle), pomme de terre (idem), maïs (idem), le café, le chocolat, la plupart des épices, etc. Le citron est répandu depuis quelques temps, l’orange connue venant de Sicile mais c’est un produit de luxe.

Le monde au-delà de la France

Voici deux exemples de cartes du monde, royales et d’un luxe et d’une précision inouïs pour l’époque, qui reflètent la sagesse des plus grands érudits et cartographes (et resteront des références pendant les siècles à venir) :

Je pense que ces images valent mieux que tous les discours sur la connaissance et la conscience des gens, fut-ils les plus grands érudits, du monde à cette époque :-/

Néanmoins, pour les plus érudits d’entre vous, quelques précisions :

La France est divisée : à l’ouest (de la Normandie à l’Aquitaine, parfois appelée Guyenne) des terres anglaises ; au centre des terres françaises ; à l’est des terres impériales.

Au nord-ouest de la France, l’Angleterre (conquise par les Normands il y a un siècle), puis le royaume d’Écosse et l’Irelande. Dans le grand nord, les royaumes du Danemark, de Suède, et de Norvège. Au sud de la France, l’Ibérie contestée et morcelée : d’ouest en est en sa moitié nord l’on trouve les royaumes du Portugal, de León, de Castille, de Navarre puis d’Aragon ; au sud et dans toute l’Afrique du nord-ouest les dominions des Almohades.

À l’est de la France, le très grand Saint Empire germanique romain, héritier de l’empire d’occident de Rome qui comprend bruxelles, Verdun, Strasbourg, Besaçon, Lyon, Marseille, Stettin, Prague, Vienne, descend jusqu’après Rome, et toutes les terres entre ces villes. À son sud, le royaume normand de Sicile.

Après l’Empire, à son est, cela devient encore plus mystérieux. L’on peut citer du nord au sud : Lituanie, Prusse, royaume de Pologne, le grand royaume de Hongrie, la Serbie, des terres bulgares, et l’immense et rayonnant empire byzantin avec comme capitale la plus grande et resplendissante cité connue au monde : Constantinople.

Les croisades se tiennent au sud de l’empire byzantin, à l’est des Almohades, dans ce croissant d’Égypte et du Moyen-orient constellé de principautés et royaumes variant selon les potentats locaux. Bien que Saladin soit certainement entrain d’y mettre bon ordre.

Les villes

La première chose qui frappe dans le monde citadin, c’est la saleté. Une saleté absolument inimaginable, permanente. Dans les rues, une boue faite de terre humide, de toutes les déjections animales et humaines possibles, d’eau de lessive, de déchets des artisans (les pires étant les tanneurs, les bouchers, les parchemineurs, les fabricants de bougie, les drapiers), etc. L’odeur est parfois difficilement soutenable, même pour les habitants de longue date. Les gens font leur besoin dans les recoins, parfois chez le voisin. L’on jette par la fenêtre le contenu d’un pot d’urine, ou même l’eau presque bouillante d’une lessive.

Une poignée de rue (généralement une seule, jusqu’à 4 ou 5 dans les grandes villes) sont assez larges pour faire passer un chariot à quatre roues et son attelage (et encore, un à la fois), les autres ressemblent plus à des ruelles. Tout serpente, aucune rue ou presque n’est droite. Les étages avancent souvent sur la rue, l’assombrissant encore.

Les rues ne sont pas pavées (sauf rares exceptions), et toujours en pentes (en forme de V écrasé) vers un goulot central d’égout (à ciel ouvert), ce qui les rend dangereuses. En plus de saleté, des restes d’outils, des gravats, des morceaux de vieux tonneaux, l’on trouve de tout. Les animaux traînent devant les maisons ou dans la rue, si les volailles ne sont pas dangereuses les porcs gênent bien plus la circulation de tout un chacun.

Rue médiévale, vue en coupe

Évidemment, les maladies sont rampantes, et les épidémies fréquentes. Le nettoyage n’est jamais permanent mais épisodique… une poignée de fois l’an (et pas partout encore), après la rumeur et la panique d’une épidémie, ou par le coup de sang d’un seigneur qui est la risée du quand dira-t-on, ou pour la venue d’un prince.

Les habitations se touchent, et le bois se mêle à la pierre pour la construction. Les pièces sont étroites. Les maisons font souvent un étage en plus du rez-de-chaussé, parfois deux.

Les rues ne sont bien sûr pas indiquées, ni nom ni numéro. Elles portent tout de même des noms d’usage, généralement les décrivant ou selon les professions installées. Rue des écorcheurs (bouchers), impasse merdron (où tout le quartier vient faire ses besoins dans une vaine tentative d’hygiène publique), rues aux Juifs, rue des tanneurs, rue des lormiers, etc. Mais toutes les rues ne sont pas nommées, surtout dans les petites villes. Les maisons avec local commercial sont parfois dotées d’une enseigne pour s’y repérer.

Bien sûr les fenêtres ne sont pas si nombreuses alors les vitrines elles sont totalement inconnues. L’on fait ses affaires au rez-de-chaussé, mais parfois l’on appose (dans la rue déjà étroite ce qui l’encombre encore plus) une échoppe à côté de la porte contre le mur de la maison.

Les entrées et sorties de la ville, comme partout où il y a un moyen d’en poser, sont dotées d’un péage.

Bilbiographie

Pour aller plus loin, ou chercher à lister toutes mes erreurs, il y a quelques livres simples de vulgarisation du sujet. Entre autre, La France au Moyen-Âge – de l’an mil à la peste noire de Marie-Anne Polo de Beaulieu édité chez Les belles lettres (ISBN 2251410198) qui comporte quelques erreurs mais en 300 petites pages a un langage très clair et fait un tour d’horizon du sujet. Sur le règne du roi Philippe sous un angle plus général et géopolitique, Philippe Auguste de John Baldwin chez Fayard en français (ISBN 9782213026602).

 


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Commentaires

Une réponse à “Introduction à la France en 1190”

  1. Avatar de Leo
    Leo

    Très intéressant, bravo pour le travail et merci pour le partage!

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